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Retour sur le week-end initiation aux Ecrins, février 2011

Vous avez dit "cascade de glace" ?

par Etienne de Roc14

« Alors, raconte, c’était comment le week-end d’initiation à la cascade de glace ? » Impossible de passer outre cette question de retour au pied-du-mur parisien tellement le projet peut sembler curieux, et l’idée saugrenue d’aller se cailler les miches sur d’abruptes et sombres pentes de glaces si éloignées du bien- être des terrasses ensoleillées des stations de ski ou de nos salles d’escalades confortables et sécurisantes.

« Bah,… euh,… comment dire,.. . c’était Chénial ! (expression du cru)… ou plutôt non, c’était ignoble !… c’était… merveilleusement atroce. » Bref, l’oxymore se prête bien à cette expérience humaine hors du commun à ce voyage intérieur unique et les adjectifs manquent pour exprimer la somme des émotions ressenties en une seule minute sur la glace, alors te raconter tout le week-end ça va être difficile… »

Rendez-vous était fixé jeudi soir 21h, au comité de la FSGT d’Ivry (honte à toi qui ne connais pas encore cet endroit mythique). On embarque tout le matos, qui fait déjà rêver les non-initiés que nous sommes : « cordes à double », « broches à glace », « dégaines explosives », et autres « piolets tractions » jonchent bientôt le « camtar » de Tonio , encadrant, bénévole, selon le principe « éthique » de la FSGT, mais surtout une personnalité formidable et très attachante dont j’aurai le plaisir de reparler.

Après une courte nuit dans un F1 pourri de la banlieue de Grenoble, on retrouve la troupe au grand complet pour un frugal et convivial p’tit déj’ à Bourg-d’Oisans . On à tous des niveaux d’escalade différent, du 5 sup’ au 7-et-des-brouettes, mais on aime tous grimper dehors. Le dénominateur commun n’est pas tant le niveau que l’envie de découvrir de nouveaux horizons, et, à l’occasion, de sortir le nez de la résine magnésitée de nos salles parisiennes. Hélias-le-kurde, Olivier-l’ancètre-qui-faisait-pas-son-âge, et Bruno, les trois autres encadrants, nous accueillent la tête dans leur café et nous mettent tout de suite dans le bain du week-end : « bon, on n’est pas là pour s’emm…, on va se mettre en train pépère : petite couenne à la Grave. C’est cool et surtout y a pas beaucoup de marche d’approche… » ça contraste avec l’idée d’austérité militaire que je me faisais de l’activité !

Une fois à pied d’œuvre, on fait moins les fiérots. La cascade est là qui nous toise, immense, déconcertante, et nous crache de temps en temps des morceaux de glace qui sifflent à nos oreilles (dont on comprend désormais pourquoi elles sont protégées par des casques), en semblant dire « hmmm, enfin de la chair fraîche ! ». Bien qu’il n’y ait pas de leader à la FSGT, Hélias (qui est aussi une étoile montante de l’alpinisme français, pardonnez du peu…) prend les commandes ; il nous explique, avec un calme et une précision qui témoignent d’une réelle connaissance du milieu mais aussi des peurs et des risques encourus à notre insu par nous autres débutants , les règles sécuritaires, les techniques et la gestuelle de base : « la cascade c’est tout con, t’as pas le droit de tomber. Le reste c’est du feeling ». J’ironise bien sûr, je n’ai jamais reçu de formation aussi complète et sympa en aussi peu de temps. Chaque encadrant prend le temps, entre deux blagues, de nous expliquer pourquoi il faut mettre les broches comme ceci, comment planter le piolet comme cela. Pas une seule seconde je ne me suis senti en danger au côté de ces encadrants chevronnés et attentifs. Le risque est là, inutile de le nier, mais ils nous apprennent à l’accepter et surtout à l’objectiver plus qu’à nous laisser submerger par notre affect et nos idées reçues sur lui. « Si tu crois qu’en montagne le risque c’est avant tout la chute, t’as rien compris. Le risque tu peux jamais le contrôler totalement mais tu peux tendre à le minimiser un maximum (célèbre rhétorique héliasienne) grâce à une bonne préparation, mais aussi au respect des timings, à la compréhension de la météo, la connaissance de l’itinéraire et la confiance en tes partenaires,… la chute, c’est la conséquence d’un manque de tout ça. » C’est le genre de discussion qu’il faut t’attendre à avoir avec Hélias suspendu dans le vide glacial à un maigre relais sur broches, alors que tu prends conscience de la petitesse et de la contingence de ton existence tandis que lui est aussi serein que dans un fauteuil de salon.

En ce qui concerne la grimpe elle-même c’est totalement déroutant dans un premier temps puis ca devient très agréable quand tu piges le truc. « Ça sert à rien de t’acharner et de bouriner. Tout est dans le poignet. Pareil pour les pieds… » (Olivier) Le talent quand on grimpe en second, c’est d’éviter les « assiettes » de glace qui fusent d’en haut. Ça s’apprend vite.

En tête, c’est autre chose. C’est complètement flippant, surtout quand ça devient plus raide, et en même temps c’est tellement jubilatoire de poser tes broches, de construire ton relais, de choisir ton itinéraire. C’est là que je voulais en venir avec mon oxymore initial. Le dépassement de soi ou plutôt de sa peur qui est au cœur de l’escalade est ici sublimé. Et, aléatoirement suspendu à un piolet avec la main droite qui commence à s’ouvrir de fatigue, tandis que tu ne parviens pas à rentrer la put… de broche dans la glace avec ta main gauche, les 2 m qui te séparent de la précédente broche t’en paraissent 20. Mais tu t’en moques, t’entends à peine, ton ego comme ton courage sont dans tes chaussettes et à cet instant tu es seul avec toi-même. Alors tu t’accroches et enchaînes le délicat ressaut, et tandis qu’un instant avant tu priais le diable de te sortir de cette m…, alors qu’au plus profond de tes entrailles une voix te murmurait « mais bordel, qu’est ce que tu fous ici ?? », l’instant d’après, tu cries « vaché- relais », puis tu jettes un œil sur le paysage fantastique qui t’entoures et tu savoures la vie comme jamais en ravalant le mou.

Le soir, au refuge, « l’esprit FSGT » s’impose comme un allant de soi. Proximité et solidarité sont d’usage plus que de rigueur. Pas de relation clientéliste ni de conduite consumériste. L’un prépare la salade, l’autre met la table. Toute à l’heure nous ferons tous la vaisselle sans broncher, malgré l’envie qui nous assaille de nous écrouler dans notre lit. Les temps et les espaces en communs sont régis par ce genre de règles tacites que commandent l’autogestion, et celui qui ne s’y plie pas se sent mal à l’aise sans même avoir besoin d’un rappel à l’ordre. Ici, t’es pas au club med.

Au fond, c’est un peu comme si la nécessité vitale de l’entraide sur les parois de glace se changeait en manière de vivre naturelle une fois redescendu. Les repas sont toujours variés (et arrosés comme il se doit), avec un véritable effort pour ne pas sacrifier le goût à la qualité. L’ « esprit FSGT » c’est l’hédonisme avant l’ascèse. Ici, t’es pas à l’armée. Cet esprit d’autogestion , dont nous parlions naguère avec dérision, moquant les traces d’un communautarisme nostalgique, sans savoir vraiment quoi mettre derrière, nous a séduit sans même que nous nous en aperçûmes. Pour ma part, et sans la prétention de rentrer ici dans un débat idéologique, je pense qu’il est aussi rare que cher et que, si on est tous rentrés aussi ravi de notre week-end, il y est pour beaucoup.

Sinon ? Le transport FSGT ? c’est « trance » et c’est « sport », tout ce qu’on aime (référence est ici faite à la conduite souple et douce de Tonio). Le lit FSGT ? Bah, l’essentiel c’est de dormir … La douche FSGT ? parfois, il faut savoir prendre son temps. Et enfin, la promiscuité FSGT ? Venez l’essayer la prochaine fois !! Donc, des étoiles pleins les yeux et des souvenirs pleins la tête. Merci à tous encadrants et participants (qui seront peut-être les encadrants de demain) sans distinction. Merci donc à Mariana, Hélias, David, Sylvain, Bruno, Geoffrey, Antonio, Mathieu, Jamil, Gaëlle et Olivier

Etienne de Roc 14

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